mardi 18 novembre 2008

Les ombres de Nagasaki


Aujourd'hui, détour obligé par Nagasaki. Deux heures de bus et je me réveille dans la ville qui fut rayée de la carte au mois d'août 1945. Ça fait un peu bizarre; ce n'est pas que la ville aie quelque chose de particulier c'est... justement, la ville n'a absolument rien d'extraordinaire. Sans connaître son histoire, il serait impossible de savoir que par un 9 août, le matin, la deuxième bombe atomique larguée sur le Japon a soufflé tous les bâtiments dans un rayon d'environ 3 kilomètres faisant instantanément plus de 75,000 morts et 75,000 blessés. Paraît que les scientifiques avaient prédits qu'il faudrait plus de 75 ans pour que la végétation réapparaisse et voilà que je me faufile entre les passants, les voitures, les bus, les machines distributrices, les grands magasins et les salles de pachinko.

Je ne veux pas m'éterniser ici, il faut que je sois à Shimabara en soirée et de toute manière, y'a pas grand-chose à voir à Nagasaki. Il y a bien sûr le Musée de la Bombe, là où je passe deux heures tellement c'est fascinant et bien expliqué. Tout sur le pourquoi, le comment, l'après. Le point de vue des Américains, le point de vue des Japonais, des témoignages de survivants. Saviez-vous que Kyoto avait été placée sur une courte liste de villes susceptibles d'être bombardées, mais avait été retirée à la dernière minute? Bien que la ville était parfaite de par sa taille, sa situation géographique et son implication dans l'effort de guerre, on craignit finalement que la destruction de la capitale historique et religieuse du Japon n'exacerbe l'amertume des Japonais envers de l'Amérique. Aussi, ce n'est que par malchance que Nagasaki fut bombardée. Les Américains avaient d'abord ciblé la ville de Kokura, dans le nord de Kyushu. Au moment de survoler la ville, les conditions météorologiques n'étaient pas idéales - trop nuageux. Nagasaki, c'était le plan B. Arrivés au-dessus de Nagasaki, les pilotes trouvèrent les mêmes conditions. Toutefois, lorsqu'ils étaient sur le point de rentrer à la base et de remettre la mission au lendemain, il y eu une brève éclaircie et la bombe fut donc larguée. Une question de secondes et de quelques nuages pour déterminer la vie de centaines de milliers de personnes.

Au sous-sol du musée, j'écoute le témoignage d'un survivant sur bande-vidéo. Âgé de treize ans, il était à l'école au moment de l'explosion, à 1,3 kilomètres de l'hypocentre. Gravement brûlé du côté droit, au visage, au bras, à la jambe, il réussit néanmoins à survivre jusqu'à l'arrivée des secours. À l'infirmerie de fortune, il fut rejoint par sa mère, saine et sauve, qui s'empressa de la ramener à la maison. Mais, sans les soins nécessaires, les blessures empirèrent : il raconte (désolé pour les détails, mais ça m'a marqué) qu'une grande quantité de pus commença à s'écouler de son oreille et que, plus les jours passaient, plus il dégageait une odeur abominable. L'odeur attira les mouches, qui, malgré toutes les attentions, se mirent à déposer des oeufs dans les plaies. L'homme raconte que sa mère enlevait chaque oeuf avec des baguettes avant qu'ils ne forment des oeufs. Finalement, il fut transporté à l'hôpital pour y recevoir des greffes de peaux ainsi que des traitements. Terrible comme histoire. Un peu secoué, je vais récupérer mon sac à la réception et j'y vois le même homme dont j'ai écouté le témoignage. Toujours la pleine forme, malgré ses 76 ans et le bandage autour de sa tête. Je le salue et il insiste pour que nous prenions une photo ensemble. Ça me fait tout spécial d'être là, à côté de ce survivant, témoin d'un moment-choc de l'histoire mondiale.

Après le musée, je me balade près de la cathédrale catholique, la plus imposante en Asie lors de sa construction et presque totalement démolie lors de l'atomisation. On peut encore y voir des statues de saints dont la surface a été noircie par la chaleur intense dégagée par la bombe. Plus loin, c'est le Peace Park, parc de dimensions modestes où siège une statue commémorative du triste événement : une statue à la grecque, toute en muscles et en formes, d'un homme pointant vers le ciel comme pour avertir les générations à venir du danger nucléaire. À quelques mètres, une colonne de marbre noir, sobre, indique l'emplacement exact de l'hypocentre. Encore là, tout le travail doit être fait par l'imagination parce que sinon, il est difficile de voir comment ce parc, ces arbres, tous ces gens, ces édifices de ce secteur somme-toute assez banal de Nagasaki, ont été complètement effacés il y a plus de 60 ans.

Mot du jour : genshibakudan (bome atomique)