lundi 6 octobre 2008

Vagabondage volcanique, deuxième partie


 5h45. Un message nous annonce que nous nous apprêtons à accoster. Je prends mon sac et me dirige à l'étage pour le débarquement. 6h et je suis seul, à Okata, à voir le soleil se lever sur Ohshima. Seul parce que tous les gens sur le bateau sont tout de suite partis en autobus ou en voiture vers une destination prévue à l'avance. Moi, je n'ai pas de carte, pas de plan et, honnêtement, je m'en fous un peu. Je traverse Okata, déserte, peut-être parce qu'il encore très tôt, peut-être aussi parce que la saison touristique est terminée depuis un moment. Je monte, m'enfonce dans les quartiers en essayant de me rappeler quelle partie de Ringu a été tournée sur l'île.

Et puis j'emprunte un chemin qui entre dans la forêt. Les pancartes autour indiquent deux directions; le Mont Mihara (volcan actif de quelques 700 mètres d'altitude, dont la dernière éruption remonte à 1986, endroit où fut inhumé Godzilla dans The Return of Godzilla et destination-suicide très prisée des Nippons au début du siècle) et la forêt des écureuils. J'opte pour la seconde destination. Non, je ne suis pas une poule mouillée! C'est que c'est plus près, voilà tout. Il commence à faire un peu chaud, j'enlève le coton ouaté. Je marche. À gauche, il y a un sentier, puis une grille avec une ouverture. J'y vais et j'y vois un immense terrain de base-ball, comme une grande clairière encerclée du forêt touffue. Comme il est environ 7h, l'air est encore un peu humide, il y a cette bruine du matin par laquelle filtre le soleil. Près du premier but, un autobus abandonné, tout rouillé, un peu cassé. Dans le champ droit (près de la piste d'avertissement!), il y du bruit dans les arbres. Trop gros pour être un oiseau, ou un écureuil. Je m'approche. Ce sont des singes, deux ou trois. Je ne pourrais pas dire l'espèce, mais je crois que c'est la première fois de ma vie que je vois des singes en liberté. C'est spécial.

Passons aux choses sérieuses - la forêt des écureuils. Pas du tout ce à quoi je m'attendais (mais à quoi je m'attendais? je sais pas). Ça m'a l'air d'être comme un mini-zoo, parc d'attraction, que sais-je. Et de toute façon, c'est fermé. Je m'asseoie devant pour bouffer mes chips au truc vert salé. Il est 9h environ. Nouvelle intersection; soit le Mont Mihara à 11km, soit Motomachi, port de l'ouest de l'île à 4km. Je ne me sens pas encore d'attaque pour la montagne et prends de nouveau la seconde option. J'entre dans une petite épicerie et m'achète un berlingot de lait d'Ohshima - pas pire pantoute. Une pause près du port à boire peinard mon lait en regardant la silhouette imposante de Miharasan et me voici prêt à repartir et cette fois avec le seul objectif de conquérir le volcan.

Toujours personne, ou presque, en vue, l'île semble quasi-déserte. Je longe la route qui zigzague sur le flanc du volcan. Pas une grosse dénivellation, juste assez pour que ça tire dans les jambes. À un moment, je vois une pancarte qui indique un sentier de montage. Ça m'intrigue, j'y vais. Le sentier ne serait pas si mal s'il y avait moins de toiles d'araignées. C'est une chose marcher à travers les roches et les racines, mais de se servir en plus de son parapluie comme d'une machette pour se frayer un chemin, c'est moins drôle. Je ne peux tout de même pas regarder à la fois sous mes pieds et droit devant. Heureusement, le sentier rejoint rapidement la route et je reprends la marche. Quelques arrêts ponctuent la montée et j'aperçois, tout en bas, Motomachi qui rapetisse de plus en plus, et le Pacifique, qui va en s'élargissant.

J'atteins un plateau, ça ne monte plus vraiment. Il y a un stationnement, quelques bâtiments. J'y suis, je crois. Une pause aux toilettes, là où il ne faut pas boire l'eau parce que c'est de l'eau de pluie (et merde à ceux qui ne lisent pas le japonais, tout est unilingue ici!). Je monte quelques marches et c'est là, devant moi. Une grande plaine, vaste, pas un son, pas de vent. Pas une forêt dense; des petits arbres, ici et là. Et le soleil de midi qui plombe. Et quoi? Le cratère, devant, à quelques kilomètres dans la plaine, comme une aberration. Je m'asseoie à terre et je vous jure, je braille. Peut-être que c'est le soleil qui commence à me taper. Peut-être que c'est les sept heures de marche pour y arriver. Je ne sais pas. Mais c'est un sentiment fantastique.

Donc, ça continue. Marche vers le cratère le long de la coulée de lave de 1986, maintenant solidifiée. Des herbes hautes des deux côtés et des gros amas de roche volcanique, des libellules qui circulent. Aussi, des abris en béton, au cas d'une nouvelle éruption. Rendu en haut, il y a un petit temple probablement consacré à l'esprit de la montagne ou du volcan. Imitant les deux grimpeurs qui me précèdent, je lance une pièce dans un petit récipient. Pour la luck. Même en haut, on voit que ça continue de monter - il y a un chemin qui tourne autour du cratère en tant que tel. La végétation se raréfie, le chemin n'est que grosse gravelle noire. On peu même voir un peu de fumée s'échapper d'ouvertures dans le flanc du cratère.

Premier arrêt à un point surélevé d'où on a une bonne vue du cratère en tant que tel. Je m'asseoie à côté d'un type qui a amené toute une batterie d'instruments. Je ne sais pas trop ce qu'il fait. Un oiseau plane au-dessus de l'espace vide. En arrière, le désert noir, vide aussi et au loin, une autre élévation verdoyante. Il ne fait ni chaud ni froid, ne vente pas, tout est si silencieux. Je continue à faire le tour toujours en pensant à Godzilla, en me disant qu'il pourrait rentrer sans problème dans ce cratère. Et c'est le chemin du retour qui s'amorce. Il est 14h environ, ça fait 8h que je marche et ça commence à tirer dans les jambes. 

J'emprunte un chemin différent, je descend près de coulées de lave secondaires, je continue et je m'épuise. Comme je suis seul, je chante pour me donner du courage. Un autobus s'arrête à une cinquante de mètres devant moi - le chauffeur me fait signe de venir. C'est le gentil Owawa, chauffeur d'un hôtel pas trop loin, qui me propose de me ramener jusqu'à Motomachi. Ma tête me dit de refuser et d'aller jusqu'au bout sur mes deux pieds, mais mes jambes, elles, n'ont plus rien à donner. J'accepte donc l'offre et me retrouve à Motomachi en moins de deux.

Il est 16h30 et je descend sur la plage pour m'y reposer un peu. Le soleil commence sa descente dans le Pacifique. Je regarde en arrière et le Mihara prend une teinte différente. Des poissons sautent hors de l'eau. Tout est parfait. Mais une fois la nuit tombée, je me demande ce que je vais faire de ma soirée. Je retourne en ville pour y manger un morceau. Un restaurant de la place, typiquement japonais, avec une porte coulissante. J'y entre, à la grande surprise des clients et du cuisinier, qui ne semblent pas habitués à la présence d'étrangers. Je commande un omakase et une grande bière. Un pêcheur du village arrive, je lui demande son nom, Akira. La femme du chef nous tient compagnie, fait la conversation. Personne ne parle un mot d'anglais, j'essaie tant bien que mal de communiquer. Pour m'aider, Akira partage son saké avec moi. 20h, un peu imbibé, je souhaite la bonne soirée à tout le monde et vais m'étendre dans un abri sur la plage pour y passer la nuit.

Grandiose.

7 commentaires:

Ginette a dit…

Quel beau vagabondage! Bien revenu au Crib pour nous raconter tes aventures?
J'ai ressorti mon vieux guide sur le Japon qui date de 1979. Voici ce qu'on y dit sur Tokyo: "Tokyo, c'est ... le mouton à cinq pattes, le monstre hydrocéphale... sans plan cohérent, sans nom de rue, Tokyo est la terreur du voyageur occidental réduit à voyager en taxi. Muni de cartes de visites incompréhensibles et de boîtes d'allumettes portant le nom du restaurant dans lequel il souhaite se rendre, le visiteur est livré à des chauffeurs dont le commun dénominateur est de ne rien comprendre aux langues étrangères et de se perdre..." Cela ne semble pas avoir changé beaucoup depuis! Tu sembles suivre les conseils du guide: sortir de la ville pour y trouver l'émerveillement.

Denis a dit…

Là, mon fils, je t'envie. Je te lis dans mon champs à Berthier et j'essaie d'imaginer. Ça doit être ben beau.

maman a dit…

J'en ai le souffle coupé. Continue d'en profiter. Le Japonais s'améliore ?

Unknown a dit…

tu peux rayer 'brailler du haut d'un volcan' de ta liste de choses à faire avant de mourir... vois m'en jaloux

Tatie Danielle a dit…

"Brak mi swouf"... Ce qui veut dire "les mots me manquent" en polonais... Bon, pour ce qui est de l'orthographe, je sais que je suis complètement dans le champ, mais c'est comme ça que ça se prononce ! Cela semble tout à fait approprié lorsqu'on s'imagine ton vagabondage volcanique.

glarb a dit…

Quel moment épique! Maintenant tu peux réellement comprendre ce que pouvait ressentir les hobbits! Wow François...je suis rouge comme une tomate de jalousie!

Furan a dit…

Le plus drôle, c'est que j'ai vraiment eu une pensée pour ces pauvres hobbits! Misère!